RN'BOY, NEWZBaby Boy

ABDELLAH TAÏA “JE NE ME RECONNAIS PAS DANS LE GHETTO HOMO”

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ABDELLAH TAÏA “JE NE ME RECONNAIS PAS DANS LE GHETTO HOMO”

Une admiration presque incestueuse pour son grand frère. La découverte violente et crue du désir assumé, pour le frère et les autres. Un regard franc sur les grandeurs et les misères du caractère des Marocains. Un voyage dans les villes du Maroc et dans les recoins de l’amour. Un cheminement vers l’âge adulte et vers l’Europe, la France où soudain la sexualité et la parole se libèrent. “L’armée du salut”, troisième livre de Abdellah Taïa est un récit amoureux : du pays, du frère et de la vie même quand elle est déracinée.

Dans votre livre, on passe d’un monde à l’autre. Du monde d’un vécu sexuel et émotif violent (Maroc), à celui où l’on peut en parler (France) …

Il me semble qu’il y a de la tendresse aussi bien dans le récit de ma sexualité dans l’enfance, puis dans l’adolescence. Les rapports entre les gens au Maroc, quelle que soit leur sexualité, entraîne certainement une violence, un non-dit sentimental. La tendresse et la violence sont deux pôles importants et toujours valables dans le Maroc d’aujourd’hui. Il y a des choses qu’on peut y vivre sans le dire. L’éloignement géographique libère, permet de mettre des mots sur des expériences. Et permet un dépassement du tabou.

Est-ce qu’on passe en quelque sorte du pays de la pudeur à celui de l’impudeur ? Avez-vous conscience de livrer des passages très impudiques ?

L’écriture interpelle quelque chose qui me dépasse. Si je dois me cacher dans l’écriture, ça ne sert à rien. C’est un acte égoïste, narcissique et impudique, vous avez raison. Quand j’écris, je n’ai plus peur, plus de honte d’être hors des règles et des lois. Tant mieux si ça me permet de dire ma vérité crue.

Le rapport à votre frère est fait d’abandon, de fascination, de désir. Sans faire de psychologie de comptoir, est-ce lui que vous cherchez à trouver chez les hommes ?

La présence du grand frère est capitale chez moi. A travers sa culture et son corps aussi, il a déterminé beaucoup de choses dans ma vie. Il a imprégné mes désirs sexuels. Attention, je ne dis pas qu’il est la “cause” de mon homosexualité. On naît homosexuel. Il n’y a pas besoin de “cause”. Il se trouve que lui est le modèle accessible, il était là devant moi. Sans que je le veuille, il a marqué mon esprit, ma peau, mes goûts.

Lui et votre famille ont-ils lus vos livres ?

“Le rouge du tarbouche” est sorti au Maroc. La presse marocaine en a parlé sans aucun problème ni jugement sur l’homosexualité. Il y a une libération des esprits qui permet d’aborder ce sujet. Pour “L’armée du salut”, la sortie est prévue en septembre et Le Seuil a fait un effort pour qu’il ne soit pas trop cher : 80 dirhams. Donc oui, ma famille lit mes livres.

On sent un besoin de régression à cette adolescence marocaine, à présent que vous êtes en France.

Je suis arrivé il y a 7 ans, en suivant un rêve de devenir réalisateur. Ma venue en France n’est pas du tout un reniement. Mais tout ce monde que j’ai quitté a commencé à me hanter plus fort et sous la forme d’histoires que j’essaie de raconter.

L’homosexualité telle qu’elle est vécue en France vous inspire quoi, au regard de la réalité marocaine ?

Franchement, je ne me reconnais pas dans le ghetto homo. Je n’y sors pas. C’est une histoire de domination du groupe qui est très forte déjà au Maroc. Alors j’essaie de fuir ce genre de pression au maximum. Cela dit, les homos français ont raison de se battre pour leurs revendications. Elles sont légitimes.

Et au Maroc, peut-on être homo et heureux ?

Je ne sais pas. J’aurais du mal à répondre car ma vie homo a été très limitée au Maroc, à part dans l’enfance entre les gamins du quartier. Elle s’est arrêtée à 13 ans. J’ai compris que ça ne serait jamais accepté, alors que je me suis mis à fond dans les études. Je tombais parfois amoureux, mais je n’osais pas le dire aux garçons.

Qu’est ce que les homos marocains peuvent faire pour le Maroc ?

Je vais me citer en exemple : il y a un mois, dans une revue hebdo arabophone, “Al Jarida al okhra”, il y a eu un spécial “homosexualité” et ils m’ont fait une page d’interview. J’avais une petite photo de moi sur la couverture. J’ai parlé franchement et en arabe. Ça vous donne une idée de ce qui se passe et de ce qu’on peut faire.

J’ai eu l’impression dans votre livre que le sexe est une sorte de passeport, de planche de salut pour gagner l’Europe. Qu’il y est de toute façon omniprésent.

Ce n’est qu’un personnage de mon livre, Mohammed, qui est comme ça. Ce serait une insulte pour les Marocains de penser ça. Tous les Marocains n’utilisent pas leur sexualité pour quitter le Maroc. Mais c’est vrai que c’est un pays où la sensualité et la sexualité sont débordantes, surtout entre eux. C’est indéniable.

Pourtant, c’est écrit dans votre livre, au-delà de Mohammed, il y a aussi vos expériences là-bas et en Europe : il y a la drague par les français, il y a des errances sexuelles…

C’est encore le cliché du Maghrébin qui est réduit à un objet sexuel. Quand j’ai découvert ça ici, ça a été un choc. J’ai tout fait pour m’en affranchir.

Nous essayons aussi dans ce magazine de donner une image réelle de la sexualité des Arabes et d’autres. Mais c’est bien vous qui écrivez toutes ces scènes. D’ailleurs il semble que si les Marocains ne peuvent échapper à cette séduction permanente, les Européens semblent être tout autant aux prises avec elle.

Oui, j’ai une sexualité aussi. J’en parle beaucoup, mais il y a une différence entre raconter ça et donner cette image d’objet sexuel. J’ai suivi un chemin qui mène vers une certaine vie et qui passe aussi par le sexe, mais aussi par la littérature, le cinéma…