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MOONLIGHT : LE SILENCE BOULEVERSANT DES HOMOS NOIRS

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MOONLIGHT : LE SILENCE BOULEVERSANT DES HOMOS NOIRS

Inspiré de la pièce In Moonlight Black Boys Look Blue écrite par le dramaturge gay afro-américain, Tarell Alvin McCraney, Moonlight raconte la bouleversante histoire de Chiron, un enfant noir issu de Liberty City, un quartier pauvre de Miami. Un mélodrame en trois temps qui correspond aux trois phases de la vie: l’enfance, l’adolescence et l’adulte. Trois acteurs formidables donnent un visage à cet homme qui refoule son homosexualité sous les muscles et les codes virils de la masculinité au sein de la communauté. 

Par Johan Amaranthe

Réalisé par Barry Jenkins, ce film nous plonge dans la vie d’un gamin devant faire face à un quotidien difficile cristallisé par une mère, Paula, détruite par le crack et un père absent. C’est chez Juan, dealer de la mère, que Chiron aussi surnommé Little pendant l’enfance, va trouver ce mentor qui l’aidera à construire ses repères dans le monde difficile de Liberty City. S’interrogeant sur sa condition de jeune noir et ses camarades qui l’appellent «tapette » dans les cours de récréation, Little reçoit une sublime leçon de tolérance distillée par Juan qui culpabilise de sa situation et sa femme Teresa. 

Moment choisi :
Chiron: "What's a Faggot?" (C’est quoi une pédale ?)
Juan: "A Faggot is a word used to make gay people feel bad." (Une pédale est un terme utilisé pour que les gays se sentent mal)
Chiron: "Am I a Faggot?" (Suis-je une pédale ?)
Juan: "You might be gay but don't let anyone ever call you a faggot." (Tu es peut-être gay mais ne laisse jamais personne t’appeler pédale.)
Juan finit en disant: "you don't need to know right now." (Tu n'as pas besoin de le savoir tout de suite.)

Cette scène, dans la première partie, fut un moment absolument saisissant pour moi en tant que spectateur car je pouvais profondément m’identifier à cette scène que nous avons tous plus ou moins vécu, nous, hommes noirs gays durant l’enfance et l’adolescence. Dans la suite du film, Chiron reste témoin de cette autodestruction au crack que s’inflige sa mère. Juan disparu, c’est Teresa qui devient le vrai pilier de l’adolescent maigre qui connaitra son premier émoi sexuel avec son ami d’enfance. Il connaitra également cette violence physique subie dans un premier temps et infligé en guise de rébellion dans un second temps dans l’environnement scolaire où il est perçu trop « hors-norme ». Il n’est pas absurde de dire qu’encore une fois ce film nous replonge dans nos expériences passées à tout un chacun, par rapport aux regards réprobateurs et actes violents subies au sein de nos différents environnements dans la communauté noire notamment. Noir, pauvre et gay, un capital pas facile à porter pour Chiron en tout cas.

À la phase adulte, c’est un Chiron tout en muscle avec des faux airs de 50 Cent et surnommé Black qui va poursuivre son expérience toujours dans la complexité pour un homme noir ambivalent, avec son identité propre et sa sexualité, à évoluer dans une société le conditionnant à devenir généralement cet archétype d’homme noir hyper-masculin, hyper-violent et hypo-émotionnel. 

Moonlight, qui est en réalité un mélange de l’histoire du réalisateur Barry Jenkins et de l’auteur gay de la pièce qui inspire le film, Tarrel Alvin McCraney, pose plusieurs thématiques universelles tout au long du film. À sa sortie aux États-Unis, d’aucuns s’interrogeaient à savoir si ce film pouvait être considéré comme un film LGBT. Après le visionnage, j’ai balayé ces questionnements car j’ai trouvé au contraire que ce film est LGBT car il dit en profondeur et sans fard ce que peut être l’expérience entre le passage de l’enfance à l’âge adulte pour un homme gay noir et je pense que beaucoup de spectateurs peuvent très rapidement s’identifier et rentrer dans la peau de Chiron avec une estime de soi très moyenne et beaucoup d’insécurités. C’est aussi le cas avec toujours l’ambivalence du personnage de Kevin. Ce film justement ne tombe pas dans les écueils de ce que l’on pourrait attendre au niveau des clichés et du scénario, notamment lors des sublimes dix dernières minutes du film. Des scènes qui ébranlent d’une certaine manière aussi le caractère binaire de l’hétérosexualité face à l’homosexualité pour installer cette espèce de célébration de la bisexualité ou plus précisément ce que les anglo-saxons appellent « sexually fluid » à travers la relation profonde que partage Kevin avec Chiron tout au long de leur parcours. J’irai même plus loin en pensant que le film évoque également avec beaucoup de pudeur le sujet de l’a-sexualité, chose très rarement traitée dans le cinéma. Moonlight capte d’une manière assez troublante avec une narrative qui souligne l’importance des mentors à tout stade de la vie, qui vous accompagnent, vous aident à comprendre ce que vous êtes et vous offre une très profonde leçon de tolérance.

Dans le film de Barry Jenkins, on exprime l’amour par une sublime chanson soul de Barbara Lewis ; une scène de sexe c’est une main qui se crispe dans le sable et quand un personnage affirme son identité, ça passe par la poésie comme lorsque Juan et Little discutent sur la plage. « A Cuba, quelqu’un disait que la nuit, les noirs qui courent sous la lune deviennent bleu ». « Alors tu t’appelles Blue ? ». « Non, je suis Juan ».

Enfin, les trois acteurs choisis pour interpréter le personnage principal à travers le temps — Alex R. Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes — ont tous trois la même intensité et une sensibilité semblable. 

Ce film, unanimement saluée par la critique, souffre de très peu de carence sur le plan technique. On peut saluer l’excellent travail du directeur de la photographie avec notamment ces plans où la mère, Paula, est rongée par la colère dans le couloir avec l’effet de lumière rosâtre. Je retiens aussi cette scène de Chiron qui plonge son visage tuméfié dans le lavabo plein de glace. Lancé sur une boucle qui reprend le début de Every Nigga Is A Star, titre de Boris Gardiner samplé en 2015 par Kendrick Lamar, comment ne pas se laisser envelopper et emporter par la somptueuse et très juste bande sonore du film. Finalement le seul bémol que je pourrais attribuer à ce film est parfois la longueur de certaines scènes notamment à la fin, pourtant inoubliables.

Récompensé pour le meilleur film dramatique aux derniers Golden Globes et en course pour de multiples nominations dont celles du meilleur film et du meilleur réalisateur, Moonlight, c’est la preuve que la pudeur au cinéma peut être intense. Un film fort, marquant et important!

Playlist spéciale Moonlight :

Every Nigga Is A Star (Boris Gardinier)
Cell Therapy (Goodie Mob)
Tyronne (Erykah Badu)
Classic Man (Jidenna)
One Step Ahead (Aretha Franklin)
Hello Strangers (Barbara Lewis)